Lettre aux Amis des Frères Carmes Déchaux

    La Mission de Kaolack (Sénégal)

Souhaitant vous partager sur ce site, des nouvelles des frères carmes, comme le fait notre Lettre aux Amis, nous publions ci dessous un dossier sur la Mission de Kaolack au Sénégal, paru dans le journal Famille Chrétienne en mars 2008, avec l'aimable autorisation de la rédaction. Pour en savoir plus sur cette mission :

Voir le nouveau site : 
www.lescarmesausenegal.org


Dossier paru dans Famille Chrétienne, réalisé par Sophie Le Pivain.

L’eau vive des carmes ou le développement durable au Sénégal.

La Journée mondiale de l’eau, le 20 mars 2008, est consacrée à l’assainissement. Un défi vital, notamment en Afrique, où la pénurie et l’insalubrité sont le quotidien des populations. Reportage avec une communauté de carmes au Sénégal, dont les innovations technologiques pourraient bien faire date.

Onze heures et demie. La réunion prévue à 9 h du matin peut enfin commencer. Les derniers villageois prennent place nonchalamment dans la salle aux murs blancs. Des chaises circulent de bras en bras pour asseoir la soixantaine de personnes. Des femmes aux boubous multicolores sont assises sur une natte tressée. En ce mois de février, elles ont fait plusieurs kilomètres à pied par plus de 35°C, leur bébé bien accroché dans le dos, pour représenter leur village à la rencontre d’aujourd’hui. Malgré les quelques quarts d’heure de retard, tous les regards sont vissés sur les intervenants, qui s’expriment en wolof. L’événement est de taille pour ces habitants de Goundiour Saloum, Keur Gallo Diawo, Kossi Tiamene, Keur Diarra Peul, Keur Diarra Bambara, Bifi Peu1 et Biil Bambara, sept villages peuls musulmans de la région de Ndiaffat, au sud-est de Dakar, la capitale du Sénégal. Il s’agit d’élire le comité de gestion du forage qui permettra bientôt d’acheminer l’eau de trois cents mètres de profondeur jusqu’aux bornes-robinets déjà construites au beau milieu des cases, dans chacun des villages, ainsi qu’aux abreuvoirs.

«Ici, la meffleure façon ds parler du Christ, c’est d’apporter l'eau»

De quoi changer la vie des habitants de cette région quasi désertique dans laquelle ne tombent que six cents millimètres d’eau par an, au cours des trois mois que dure la saison des pluies. Tout au long de la saison sèche, hommes, femmes ou enfants parcourent de plus en plus de kilomètres à pied ou en charrette jusqu’à leurs puits, pour en tirer une eau souvent infestée de bactéries, au fur et à mesure que ceux-ci s’assèchent. Parmi les organisateurs de cette rencontre en pleine brousse, dans le seul bâtiment en dur des environs, un «toubab’» (un Blanc). Sa djellaba à lui, c’est une robe en coton clair, avec un scapulaire et un large col à capuchon. Pour que les villageois le comprennent, l’un d’eux traduit en wolof ce qu’il leur dit dans un français qui ne laisse aucun doute sur ses origines marseillaises. S’il est aujourd’hui question de forage, d’eau courante et de château d’eau, c’est grâce à sa communauté. Frère Luc-Marie est le prieur du couvent des carmes, qui ont débarqué il y a six ans de leur province de Montpellier, à l’appel de l’évêque de Kaolack, pour implanter dans le diocèse la branche masculine du Carmel et y assurer l’animation du futur grand centre spirituel du diocèse: le sanctuaire marial Ker Mariama, un séminaire de propédeutique, un centre de retraites spirituelles, et le couvent de la communauté, qui n’attendent plus que les fonds nécessaires pour sortir de terre sur le terrain de trente hectares dont dispose la communauté.


C’est justement sur cette terre poussiéreuse que le château d’eau, qui enverra l’eau aux villages du haut de ses cent cinquante mètres, est en construction. S’il tâche d’être fidèle autant que possible aux deux heures d’oraison quotidienne et à la liturgie des Heures en communauté, comme en tout temps de fondation, Frère Luc-Marie n’a pas hésité à bousculer un peu son emploi du temps carmélitain pour mettre en place cette grosse opération de développement avec l’aide de la Caritas locale, qui a le rôle de maître d’ouvrage. «Notre projet ne pouvait pas se développer sans disposer d’un forage. Trouver et capter de l’eau fut donc dès le départ une priorité et une nécessité. Mais il était impensable d’alimenter en eau la centaine de personnes appelées à vivre sur le site, sans penser aux quelque mille sept cents habitants du secteur et leurs deux mille têtes de bétail.»

La vocation des Carmes est avant tout de rejoindre les hommes dans leur pauvreté intérieure et spirituelle. «Mais, reprend le prieur, Jean-Paul II disait qu’en Afrique, on ne peut pas envisager l’évangélisation seulement sur un plan théologal, sans prendre en compte la réalité de ce que vivent les gens. Ici, la meilleure manière de leur parler du Christ, c’est de leur apporter l’eau, qui est la vie. Ce n’est pas sans nous rappeler la Samaritaine. Ces musulmans sont pour nous la Samaritaine. Nous voulons leur apporter à boire l’eau vive du Christ. » Alors, Frère Luc-Marie, que ni ses études d’Histoire ni sa vocation de carme ne prédisposaient à devenir expert en hydraulique, est passé maître dans la connaissance de l’écosystème de la région du Sine Saloum, dans les techniques de forage, et autres recommandations de l’OMS (Organisation mondiale de la santé, dépendant des Nations unies). Et troque volontiers son habit contre un tee-shirt et une casquette pour travailler avec les ouvriers. Franche coopération avec les chefs de villages et amitié avec les habitants.

En attendant, le carmel de l’Enfant-Jésus, qui abrite la petite communauté — quatre Frères français, un novice venu de Guinée, et un jeune «regardant» sénégalais —, s’est installé dans une maison de location dans la ville de Kaolack, à quinze kilomètres de leur terrain. Frère Luc-Marie, parfois accompagné ou relayé par ses Frères, se rend là-bas régulièrement pour s’occuper du projet.
Il est devenu persona grata dans les villages. Lorsqu’ils aperçoivent son 4x4 Pajero, des grappes d’enfants rieurs courent au-devant de lui en criant: «Luc! Luc I». L’un d’eux, né depuis son arrivée, porte même son prénom. Quant aux chefs de village, ils lui donnent une franche poignée de main et devisent sérieusement avec lui. Il confie même avoir noué des liens d’amitié avec certains, comme Amadou, un jeune homme solide à la mince silhouette et aux traits fins. Grâce à lui, entre autres, il a découvert la «Teranga» sénégalaise. Pour le prieur, «au Sénégat, la fraternité, l’entraide, la solidarité sont quelque chose de particulièrement sacré. On appelle cela la Teranga, qui signifie “accueil” en wolof. Parmi les grandes richesses de l’âme africaine, la plus belle est sans doute ce sens de l’amitié ».
Aujourd’hui, Amadou, ce tout jeune père de famille de Keur Gallo, le village le plus proche, a l’un des premiers «CDI» locaux que le projet ne manquera pas d’engendrer. Depuis l’avancée des travaux, il est le gardien du terrain, où il a même sa case. Il peut ainsi surveiller la croissance des jeunes arbres de trente espèces locales que les Frères ont plantés l’année dernière, dans un programme de reboisement, et qui prospèrent grâce à un ingénieux système de goutte-à-goutte pompé dans le forage.
 
Avec l’acheminement de l’eau, beaucoup de perspectives sont ouvertes: la communauté espère améliorer la condition des femmes, qui disposeront de plus de temps, l’éducation des enfants, la formation professionnelle des jeunes, et l’activité économique. Les habitants ne s’y sont pas trompés, eux qui ont fait cadeau du terrain au diocèse. Lorsqu’un projet de monastère a été évoqué, ils ont envoyé quelques- uns des leurs au monastère bénédictin de Keur Moussa, fondé par l’abbaye de Solesmes en 1961, pour voir ce dont il s’agissait. De retour, ils étaient unanimes: «Si c’est cela, ça vaut le coup!»

C’est aussi ce qui a séduit la Coopération française, qui a financé 75 % des 16 000 euros nécessaires au forage, après avoir vérifié qu’il correspondait bien aux critères sévères qu’elle impose. L’une des plus grosses subventions accordées la même année. Si les travaux se passent comme prévu, le château d’eau sera solennellement inauguré en mai, en présence de l’évêque, de l’ambassadeur de France, et d’autres personnalités civiles et religieuses locales.

Mais l’aventure est loin d’être terminée. Car si l’eau du forage est bactériologiquement pure, elle affiche un taux de fluor excessif:  4,5 mg par litre, trois fois plus que les recommandations de l’OMS pour l’eau de boisson, avec des conséquences désastreuses pour les enfants: elle teinte les dents en noir et fragilise les os, pouvant entraîner arthrose, rhumatismes articulaires, rachitisme, et parfois handicaps moteurs ou débilité mentale. Jusqu’à présent, aucun système de traitement de l’eau fluorée n’a jamais été mis en place dans les huit cents forages sénégalais concernés. Faute d’investigation technologique, faute de moyens, faute aussi, de l’aveu même d’un acteur local, de savoir regarder loin vers l’avenir.

Les religieux, eux, ont l’éternité pour seule perspective, et ne comptent pas leurs efforts. «La santé des populations doit être une priorité absolue, quels que soient les efforts que cela suppose », estime Frère Luc-Marie. Grâce à son carnet d’adresses devenu épais depuis son arrivée au Sénégal, le prieur a franchi un pas de plus dans l’initiative technologique, jusqu’à rentrer en contact avec Courfia Diawara, scientifique sénégalais, maître de conférence à l’université de Dakar, et spécialiste d’une technique de traitement des eaux.

Le projet des Frères pourrait bien donner corps au rêve que le scientifique caresse depuis plusieurs années: prouver que la nanofiltration, déjà utffisée partout dàns le monde pour le traitement des eaux, l’électricité, l’industrie automobile, peut remédier au problème du fluor. Dès leur rencontre, Courfia, que Frère Luc-Marie appelle amicalement par son prénom, a organisé au Sénégal un grand colloque sur l’application au fluor de cette technique de pointe. Touchée par le projet des religieux, l’entreprise leader mondiale de la nanoffitration a proposé de financer
la machine de filtration, avouant toutefois son scepticisme. Qu’à cela ne tienne Avec l’aide d’une compagnie aérienne amie, les Frères ont envoyé par avion un échantillon de leur eau. A l’examen, en présence de Courfia, les résultats ont dépassé les espérances...

Assis dans son bureau de l’université qui jouxte le laboratoire, le scientifique jubile, sous son air grave, à l’idée que son pays pourrait ainsi venir à bout de la fatalité à laquelle semblent s’être résolus décideurs politiques et entrepreneurs. «Nous ne sommes jamais allés aussi loin. Plus qu’une victoire, ce serait le début d’une grande aventure pour le Sénégal, explique-t-il. Si nous menons le projet à terme, il y a de fortes chances pour que cela produise un effet boule de neige.» Sa plus grande fierté, s’il éradiquait ce problème de santé publique, serait de rendre service à son pays, ce qu’il a investi dans son éducation.

Mais voilà. Une fois filtrée, l’eau coûtera plus cher. Jamais à court d’idées, les religieux ont fait appel à Lamine Ndiaye, à la tête d’une entreprise d’installation d’éoliennes, espérant faire baisser le coût énergétique. Celui-cia installé à un prix concurrentiel des anémomètres pour évaluer, selon la puissance du vent, l’intérêt de cette énergie renouvelable sur le terrain des Frères. Verdict dans un an. Dans sa djellaba blanche, le Sénégalais à la carrure imposante sait la raison de son geste envers les Frères de Kaolack: «J’ai été touché par l’aspect religieux du projet. Pendant que les musulmans offrent des sacrifices, les congrégations catholiques installées depuis longtemps au Sénégal oeuvrent toujours beaucoup pour le développement durable. Je vous le dis en tant que musulman».•

Pour taire un don: Procure des missions, 10 bis, rue Moquin-Tandon, 34090 Montpellier.
Chèques à l’ordre de «Procure des missions»
(pour obtenir un reçu fiscal, adresser les chèques à l’ordre de «Fondation des monastères»).



Les carmes nous aident à unir action et contemplation
Interview de Mgr Benjamin Ndiaye, évêque de Kaolack

Quelle est la raison d’être de la communauté des Frères carmes dans votre diocèse?

Il nous fallait des religieux qui puissent aider les catholiques d’ici à unir action et contemplation. Nous avons besoin d’approfondir notre relation avec le Christ. En Afrique, la vie est très communautaire, mais les fidèles ont du mal à avoir cette relation personnelle avec le Christ. C’est pour cela que nous avons besoin d’un lieu où pouvoir effectuer des retraites. Cela ne concerne pas que les fidèles, mais aussi les prêtres et les religieuses. Les Frères s’occuperont aussi de l’accompagnement spirituel des séminaristes de l’année de propédeutique.

Pourquoi font - ils du développement, alors que leur apostolat concerne avant tout a vie intérieure?

La réponse tient à l’acquisition même du terrain sur lequel ils doivent s’installer. Pour les habitants des villages qui l’ont donné, avoir de l’eau en quantité et en qualité suffisantes représente un vrai défi. De plus, les gens d’Eglise, quand ils fondent quelque part, ont presque toujours oeuvré pour le développement local, même lorsqu’ils font partie d’une congrégation à vocation contemplative. C’est presque une tradition. Nous avons aussi beaucoup insisté sur la promotion de l’environnement, en plantant des arbres qui sont arrosés avec un système de goutte-à-goutte qui est à la fois économique et d’une grande efficacité. Nous comptons aussi beaucoup sur le contact humain que les Frères carmes auront avec les villageois. Ils pourront leur apprendre comment arroser, comment utiliser les engrais, etc. Mais le plus important, c’est le témoignage. Pas plus tard qu’hier, j’ai rencontré la mère du gardien du terrain. Elle est venue me voir et m’a dit: « Cela faisait longtemps que je voulais vous saluer Vous êtes vraiment des hommes de Dieu».

 


ÊTRE CARME AU SÉNÉGAL, un coeur à coeur avec Dieu

Faire l’expérience de Dieu, et conduire les autres à faire cette expérience. En terre africaine, la règle du Carmel reste la même. Moyennant une inculturation nécessaire. « L'Afrique, c’est fini pour moi.» Frère JeanSébastien avait un moment pensé devenir prêtre Fidei Donum, pour la mission... avant de rentrer au Carmel. Frère Alain-Marie, lui, avait vécu une expérience forte comme instituteur en Egypte. Quant à Frère Marie-Pierre, il avait quitté le Gabon «le coeur gros» après sa coopération Fidesco. Lorsqu’ils ont franchi la porte du Carmel, aucun des trois n’imaginait que leur province fonderait un jour le couvent de l’Enfant-Jésus, en plein coeur du Sénégal, et qu’ils seraient envoyés vivre leur vocation contemplative dans un pays à majorité musulmane.

Une véritable épopée que cette fondation en 2002, à rappel de l’évêque, pour aider les fidèles à approfondir leur relation personnelle avec le Christ. Frère Jean-Sébastien, qui faisait partie de la première équipe, se souvient des premiers mois dans un campement précaire, puis dans un quartier mouride (une grande confrérie musulmane au Sénégal). Bernés par les commerçants, massacrés par les moustiques, réveillés par des incantations musulmanes interminables, les religieux ont connu des moments difficiles. «Jusqu’à ce jour où nous avons tous senti fortement que le Seigneur nous voulait vraiment là. »

Avec leur prieur Frère Luc-Marie, ils sont quatre Français, tous prêtres, dans leur couvent provisoire de la ville de Kaolack. Deux Africains les ont déjà rejoints: un novice guinéen, Frère Moïse, et un jeune « regardant » sénégalais. « Je ne vous demande qu’une seule chose, le regarder » (sainte Thérèse d’Avila). Au couvent de Kaolack, les Frères vivent comme ailleurs ce coeur à coeur avec le Christ qui est le centre de la règle du Carmel, selon la réforme de sainte Thérèse d’Avila: deux heures d’oraison silencieuse à la chapelle, liturgie des Heures,
repas en silence, à l’écoute d’une lecture. « La vocation carmélitaine, explique le prieur, c’est l’expérience intérieure de la foi vive du mystère du Christ crucifié, jusqu’à me donner à lui sans réserve, jusqu’au don crucifié de moi-même. »

Un ministère entièrement voué à l'accompagnement spirituel des fidèles. Premier lieu de l’inculturation des religieux en terre africaine, la musique. A la manière des moines bénédictins de Keur Moussa, qui ont adapté la kora, instrument africain à cordes, et les mélodies des griots (musiciens locaux) à la liturgie, Frère Marie-Pierre anime les offices. Et il est rare que la petite chapelle (notre photo) soit vide aux heures des offices, dès la messe de 7 h du matin. Les fidèles du quartier redoutent déjà le jour où les Frères emménageront à quinze kilomètres de Kaolack, dans leur futur couvent de Ndiaffat.

Le reste de la journée des religieux est consacré aux différents services de communauté — marché, cuisine... — et à leur ministère, entièrement voué à l’accompagnement spirituel des fidèles catholiques. En attendant l’animation du grand centre spirituel de Ndiaffat, ils répondent aux demandes du diocèse, et prêchent des retraites. Chaque jeudi, Frère Marie- Pierre donne un enseignement aux Missionnaires de la Charité, muni de son petit dictionnaire bilingue, car la petite communauté, en majorité indienne, est surtout anglophone. Frère Jean-Sébastien, lui, assure une heure de catéchisme chez les «juvénistes », un foyer vocationnel de jeunes filles.

« Notre rôle est de guider la liberté de chacun», confie Frère Main-Marie, qui est le directeur spiritue ïune dizaine de personnes. Et de confier pudiquemt rune des premières grandes joies de son ministère sénégalais, quand il a reçu en confession quelqu’un qui ne parlait que le wolof: « Je débutais complètement dans la langue, mais on ne m’a pas demandé mon avis. J'ai fait ce que j’ai pu. Et quand j’ai vu son regard de reconnaissance... ça vous donne des ailes pour longtemps.... »